« J’étais jaloux de voir les gens venir du monde entier afin de mieux connaître l’histoire de l’Egypte, que je connaissais très peu moi-même. Du coup, j’ai eu envie d’approfondir mes connaissances en la matière », lance Khaled Al-Anani, pour expliquer pourquoi il a décidé de se convertir en guide touristique, spécialiste de l’égyptologie. Avant, il n’avait aucune passion, ni intérêt pour les antiquités, ni pour les monuments historiques. Enfant, il avait juste visité le Musée égyptien du Caire, deux ou trois fois, avec son père, comme pas mal d’Egyptiens. « J’avais des voisins qui travaillaient comme guides touristiques, ils me racontaient ce qu’ils faisaient durant leurs voyages et comment ils rencontraient des gens de nationalités diverses. Cela a suscité mon admiration. Après le baccalauréat, j’ai décidé de m’inscrire à la faculté de tourisme et d’hôtellerie, à l’Université de Hélouan, afin de devenir guide touristique ». Et de poursuivre : « Le premier temple que j’ai visité a été celui de Karnak à Louqsor. J’étais impressionné par la grandeur des chefs-d’oeuvre pharaoniques. Devant ces colosses, j’ai réalisé à quel point nous sommes petits par rapport à la grandeur et à la perfection de leur travail ».
Ses parents et amis le prenaient pour un fou, pour avoir refusé de
faire polytechnique, ayant obtenu un très bon pourcentage de notes au
baccalauréat. Mais une fois diplômé en tourisme et hôtellerie, ils ont
changé d’avis, en remarquant l’enthousiasme avec lequel il pratiquait sa
profession de guide, tout en enseignant à l’université. « Sur le
terrain, ma passion pour l’archéologie a pris toute une autre dimension.
J’ai attrapé le virus de l’égyptomanie à la française, car
j’accompagnais souvent des groupes français. De quoi m’avoir poussé à en
connaître davantage, en faisant des études encore plus approfondies »,
raconte Khaled Al-Anani, qui a décidé d’arrêter son travail de guide
pendant les années 1990, au lendemain des attentats terroristes contre
les sites touristiques à l’époque. Il se consacre alors au travail
académique. Ensuite, il décroche une bourse d’études de 4 ans en France,
pour obtenir un master sur les temples nubiens, suivi d’un doctorat en
égyptologie à l’Université de Montpellier III, en 2001. « J’ai soutenu ma thèse à la fête de Sainte Mariette, le 6 juillet. C’est mon directeur de thèse qui a choisi cette date ».
De retour en Egypte, Al-Anani travaille comme maître de conférences,
formant ainsi d’autres guides touristiques francophones. Il a été
également nommé comme chercheur associé à l’IFAO, de quoi lui avoir
donné accès à la bibliothèque bien garnie de cet édifice archéologique
de grande importance. Passionné de recherches archéologiques et aimant
le travail de terrain, Khaled Al-Anani collabore petit à petit avec le
ministère des Antiquités et avec le CDEA (Centre des études et de
Documentation de l’Egypte Ancienne) à travers plusieurs projets. Il
acquiert une belle renommée en France où il enseigne régulièrement à
l’Université Paul Valérie de Montpellier. Il est même nommé membre du
Conseil administratif et scientifique à l’IFAO de Paris.
De plus en plus, c’est l’amour de l’égyptologie qui façonne sa vie,
alors que rien ne laissait présager ce sort très lié à l’histoire de ses
ancêtres dont il a signé plus de 20 ouvrages en français. « J’ai
commencé par un livre portant sur la paléographie hiéroglyphique du
petit temple d’Abou-Simbel. J’ai répertorié les différents signes
hiéroglyphes gravés à l’intérieur du temple, afin d’étudier leur forme
et leur usage linguistique. J’ai mis quatre ans pour achever cet ouvrage
publié en 2007 ». Et d’ajouter : « A ma première visite au
grand temple d’Abou-Simbel, j’étais fasciné par le rayonnement des
statues du sanctuaire, par la précision de l’opération de sauvetage et
par l’originalité des couleurs et des reliefs. Le fait que le temple
soit gravé en pleine montagne lui attribue un charme particulier. Et ce,
sans oublier les scènes militaires de la grande salle ».
Son livre sur Abou-Simbel, comme ses autres publications et articles,
s’adressent notamment aux spécialistes. Il y aborde des sujets très
pointus, parfois inédits, mais parfois aussi il se livre à un travail de
vulgarisation, s’efforçant de simplifier les choses. Le pamphlet
éducatif, en arabe et en français, sur le temple d’Abou-Simbel,
illustrations à l’appui, en est un exemple. L’égyptologue, qui a été
chef de section et vice-doyen de la faculté de tourisme et d’hôtellerie,
fait découvrir aux écoliers leur histoire de manière attrayante. « J’aurais
bien aimé passer le reste de ma vie dans les bibliothèques, à élaborer
des recherches et à dévoiler les secrets inédits des pharaons, mais les
conditions politiques et économiques de l’Egypte m’ont obligé à changer
de direction ». En fait, l’académicien chevronné s’est trouvé
contraint d’accepter le poste de directeur du nouveau Musée national de
la civilisation égyptienne, à Fostat, une fois nommé à ce poste par le
ministre des Antiquités, Mamdouh Al-Damati, en août 2014. Il s’agit d’un
projet énorme dont l’ouverture partielle est prévue durant le printemps
2016, avec une partie seulement de la collection, ramenée de l’ancien
musée à la place Tahrir et des dépôts. « Il fallait tenir un rôle différent, oeuvrant toujours à la sauvegarde du patrimoine »,
commente Al-Anani qui vient d’être nommé, il y a quelques semaines, en
tant que responsable du fameux Musée du Caire, à la place Tahrir. Un
vrai défi pour un chercheur de diriger deux musées de cette ampleur ! « Le
problème du vieux musée réside en l’entassement des pièces exposées,
alors que pour le nouveau Musée de Foustat, nous avons surtout un
problème d’ordre financier. Il nous faut quelque 500 millions de livres
égyptiennes pour pouvoir en achever la construction et la mise en place »,
précise-t-il. L’égyptologue fait de son mieux afin de mettre ses
compétences et ses contacts au profit de ces deux musées. Il fait appel à
la coopération internationale, s’adresse aux directions d’autres musées
et universités de par le monde, demandant leur aide quant à la
formation de nouveaux cadres archéologiques : des restaurateurs, des
conservateurs et un personnel administratif. Il a des plans ambitieux
visant à réhabiliter le vieux Musée du Caire et à développer le nouveau.
« Une fois nommé à la tête de l’ancien musée, j’étais à la fois
choqué et impressionné. J’étais choqué par le manque de propreté et
émerveillé par la quantité d’objets exposés », lance Al-Anani, faisant ensuite part de ses priorités. « Nous devons garder seulement quelques chefs-d’oeuvre
tout en conservant la beauté vétuste des lieux. Il faut aussi exposer
en vitrine des pièces, jusqu’ici entassées dans les dépôts, ajouter des
étiquettes descriptives, améliorer l’éclairage ».
En effet, l’actuel Musée égyptien du Caire, dont l’histoire remonte à
l’année 1902, compte 160 000 pièces antiques, dont 50 000 sont exposées,
le reste gît dans les dépôts. « A mes yeux, le masque de
Toutankhamon reste la pièce phare du Musée du Caire. Lorsque ce masque
était transporté au laboratoire pour être restauré, j’avais l’impression
que l’un de mes enfants est malade ou porté disparu. Il fallait donc le
soigner pour qu’il retourne en bon état. Je suis fier de l’équipe
égypto-allemande qui a fait un excellent travail en 68 jours »,
affirme Al-Anani. En expert, il diagnostique les maux du secteur
archéologique en Egypte. Selon lui, le vrai problème réside en la
carence des cadres bien formés. « Nous disposons de professeurs et
d’académiciens très compétents, mais les cursus universitaires sont à
revoir, notamment en ce qui concerne trois disciplines de base :
l’archéologie de terrain ou les fouilles, la gestion des sites et les
études muséologiques ». Ces trois disciplines sont très peu enseignées ou quasiment absentes dans les universités égyptiennes. « Pourtant,
on a des milliers de sites historiques, une vingtaine de musées et des
dizaines de missions archéologiques étrangères. On peut imposer à
chacune de ces missions sur place d’initier un certain nombre de jeunes
archéologues égyptiens », propose-t-il. D’autre part, Al-Anani
essaye de fournir des bourses d’études à l’étranger, afin de former de
nouveaux spécialistes et leur apprendre la méthodologie de la recherche à
l’occidentale. « J’essaye de transmettre ma passion aux jeunes chercheurs »,
affirme-t-il, en insistant sur le manque de ressources financières du
ministère dont les revenus dépendent des tickets d’entrée sur les sites
historiques. Donc, avec la chute actuelle du nombre de touristes, le
ministère connaît de vraies carences budgétaires. « Trouver l’argent
nécessaire pour la restauration d’un temple, l’aménagement d’un site
archéologique ou la rénovation d’un musée est presque un miracle »,
assure Al-Anani, qui ne manque pas de souligner que le patrimoine est
pour l’Etat une poule aux oeufs d’or. Al-Anani partage sa passion avec
sa femme et son fils de dix ans. « Ma femme travaille dans le champ publicitaire, mais elle était guide touristique, à l’origine, l’une de mes étudiantes », plaisante-t-il.
Son hobby ? Collectionner les vieux timbres et les anciennes pièces de monnaie. « Je possède une belle collection, avec des timbres et des pièces, de partout dans le monde. Mais j’ai de moins en moins de temps ».
Du temps évidemment, il lui en faut pour diriger deux musées énormes et
continuer à nous révéler les secrets des pharaons. Récemment décoré
Chevalier des lettres et des arts par la France, Al-Anani juge que ses
efforts sont bien loués, ici comme ailleurs. « J’ai de tout temps
cherché à jeter des ponts entre les deux cultures, ayant un pied dans
chaque culture. Et ce, par le biais de ma spécialisation et ma passion
qui est l’égyptologie », conclut-il.
(Sources : http://hebdo.ahram.org.eg/News/14708.aspx)