- Avec le decès à 83 ans de
Jalal Talabani, artisan inlassable de l'unité nationale, l'Irak perd un
avocat, un médiateur et une partie de son histoire.
On l'appelait Mam Jalal, «Oncle Jalal» en kurde, sa
langue natale. Ce surnom lui allait bien. Rond et affable, le président
irakien, Jalal Talabani, 83 ans, était réputé pour son amabilité, la
qualité de sa table et celle de sa bibliothèque. Il était amateur de
poésie, de bons vins et de cigares. Il parlait aussi bien, outre le
kurde, l'arabe, l'anglais et le farsi, et même un peu de français. Jalal
Talabani faisait figure de rassembleur. L'Irak en avait bien besoin
quand le Parlement l'a élu en 2005, quand le pays essayait de se
reconstruire après plus de trois décennies de dictature. Une histoire de sang, de fureur et de traîtrises. Dans ce pays, peut-être le plus violent du Moyen-Orient, le pouvoir ne se gagne pas dans un fauteuil, et on ne devient pas «oncle» seulement à coups de fourchette. Ce surnom, d'abord gage de respect pour les politiciens-combattants charismatiques, Jalal Talabani l'avait obtenu jeune, l'avait consolidé les armes à la main, et l'avait conservé en ne s'interdisant aucune manœuvre pour atteindre ses objectifs. Avant de se réincarner en arbitre débonnaire, le président avait suivi un chemin plutôt sinueux.
Né en 1934 dans une famille sans prestige tribal de Koysandjak, un village du Kurdistan irakien, il se politise rapidement au cours de ses études de droit à Bagdad. Le jeune Talabani s'engage dans le mouvement nationaliste incarné par Moustapha Barzani, le dirigeant du Parti démocrate du Kurdistan (PDK). À 20 ans, il intègre le comité central de cette formation à tendance marxiste. Bon orateur, il devient vite populaire. Étape classique d'un parcours de jeune ambitieux, il épouse la fille du secrétaire général, Ibrahim Ahmad.
C'est avec son beau-père qu'il fait sécession. Le tandem Ahmad-Talabani ne recule devant aucun moyen, pas même l'alliance avec le diable. Les dissidents du PDK choisissent le camp de Bagdad dans la guerre qui oppose Moustapha Barzani, rentré de son exil à Moscou, avec le pouvoir central. Entre 1966 et 1970, les combattants de la faction Talabani-Ahmad se transforment en armée auxiliaire du régime, qui tombera en 1968 aux mains du Baas, le parti du futur tyran Saddam Hussein. Mais en Orient, la réconciliation peut suivre rapidement la trahison. Moustapha Barzani passe un accord d'autonomie avec Bagdad, et Jalal Talabani rejoint le PDK. Il est envoyé représenter le parti à Beyrouth et à Damas, où il gagne ses galons de diplomate.
Il reprend la kalachnikov en 1975, cette fois contre le pouvoir. C'est alors qu'il renforce son prestige militaire. La geste kurde raconte que Talabani résista jusqu'au bout contre l'armée, avec une poignée de combattants, dont sa femme.
La politique du pire
Il tire les dividendes de son statut de héros en formant son propre parti, l'Union patriotique du Kurdistan (UPK). Commence une nouvelle période de lutte fratricide et de renversements d'alliances. Réconciliés contre Saddam à la fin des années 1980, quand le dictateur gaze des milliers de Kurdes, les deux partis s'affronteront de nouveau après la première guerre du Golfe. Il s'agit maintenant de savoir qui prendra le contrôle du Kurdistan irakien, protégé par les États-Unis. L'UPK ou le PDK, maintenant dirigé par Massoud Barzani, le fils de Moustapha? Jalal Talabani choisit encore la politique du pire. Il rejoint Saddam Hussein... La guerre civile kurde reprend. Elle ne s'achèvera qu'en 2003, à la chute du dictateur.De nouveau réconciliés, les deux rivaux se sont partagé les tâches. À Talabani la présidence de tout l'Irak, à Barzani la direction du Kurdistan irakien. Les différends n'étaient pas résolus. Jalal Talabani prêchait l'unité, Massoud Barzani s'émancipe de plus en plus, dans une ambiance de conflit larvé avec le gouvernement.Quelques jours avant sa disparition, son rival de toujours a déclenché le processus d'indépendance du Kurdistan. Jamais remis d'une attaque cardiaque en 2012, plongé dans un état quasi végétatif, l'Oncle Jalal n'était plus là pour tenter une nouvelle pirouette.
(http://www.lefigaro.fr/international/2017/10/03/01003-20171003ARTFIG00190-jalal-talabani-ancien-president-irakien-est-mort.php)
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