Les milliers de sirènes réparties dans tout le pays auraient dû retentir à midi tapantes, comme chaque premier mercredi du mois. Mais c'était sans compter la rigueur budgétaire.
Nous sommes le premier mercredi du mois, le premier de la nouvelle année. En principe, les milliers de sirènes réparties dans tout le pays devaient retentir à midi tapantes. Le test de routine pour s’assurer que tout fonctionne si jamais, d’aventure, les autorités devaient déclencher l’alerte en cas de danger réel.Mais en ce jour de l'an, les sirènes n'ont pas sonné. Les maires ont reçu un courrier, l’essai est décalé à mercredi prochain pour cause de jour férié. Au sein du ministère de l’Intérieur, le Bureau de l’alerte, composé de sept agents, a jugé qu’il n’était pas justifié, dans un contexte de rigueur budgétaire, de faire travailler un 1er janvier tout le bataillon de personnes qui se met en branle habituellement tous les premiers mercredis du mois à la même heure…
A quoi servent les sirènes, comment fonctionnent-elles ?
Le point.
Qui sonne ?
Dans toutes les préfectures, c’est le même rituel. Chaque premier mercredi du mois, un fonctionnaire de la direction de la sécurité civile, accompagné souvent d’un militaire réserviste de l’armée de l’air, ouvre une armoire contenant «une vieille console digne d’un James Bond, avec des boutons rouge et jaune», décrit un agent.En appuyant, il déclenche automatiquement les sirènes de tout le département. On en compte 10 000 en tout réparties dans 7 222 communes de la métropole, selon le dernier recensement datant de 2010. Un peu moins de la moitié (3 600) appartiennent à l’Etat. Les autres sont la propriété des communes, ou de certaines entreprises dont l’activité présente un risque (centrale nucléaire, usine classée Seveso, exploitants de barrage…).
Et puis il y a les autres, celles dont le propriétaire n’a pas été identifié. Les agents de l’Etat en ont répertorié 179 au dernier recensement. Toutes ne sont pas en état de marche, loin de là. Certaines ne fonctionnent plus depuis belle lurette, d’autres ne se déclenchent qu’une fois sur deux, ou sur dix. Parfois, le seul moyen de les faire hurler, c’est d’aller appuyer sur l’interrupteur situé sur la sirène elle-même. C’est ainsi qu’un mercredi sur quatre, des employés municipaux sont obligés d’escalader les clochers des églises pour tester les plus anciennes qui ne sont pas équipées d’un bouton déporté. Chaque mois, le maire, en tant que garant de la sécurité des habitants, est tenu d’envoyer un rapport détaillé à la préfecture sur l’état du matériel. Mais il n’est, en revanche, pas obligé d’avoir des sirènes qui fonctionnent, ni de sirène du tout d’ailleurs. Beaucoup de communes ne sont pas équipées. En cas de danger imminent, le maire peut informer sa population comme il entend (haut-parleur, porte-à-porte…).
De quand date ce système d’alerte ?
Le réseau national d’alerte (RNA) est un héritage de la Seconde Guerre mondiale. Il a été conçu pour prévenir la population d’une menace aérienne, une attaque nucléaire ou un bombardement classique. A l’époque, la crainte venait surtout de l’est… Du coup, les communes proches du Rhin sont bien plus équipées en sirènes que la façade ouest de la France. Or, aujourd’hui, les risques sont multiples (inondations, explosions d’usines…) et certaines régions sont sous-équipées.Autre problème : les sirènes sont reliées à la préfecture via les lignes de téléphonie fixe. Pendant des années et des années, les PTT puis France Télécom assurait l’entretien du câblage. Tout allait bien. Mais au fil du temps, l’histoire s’est corsée et s’est terminée devant les tribunaux en avril dernier. «Nous avons alerté l’Etat dès 1991 de la difficulté de maintenir le câblage en état opérationnel. Puis fin 2011, nous avons fait état de l’impossibilité d’assurer la maintenance de ce réseau obsolète», explique-t-on chez Orange. Finalement, le Conseil d’Etat a tranché en avril 2013, donnant raison à Orange. Il n’existe aucun texte légal obligeant l’entreprise à entretenir le réseau d’alerte. D’où l’urgence d’une réforme.
Les autorités publiques ont décidé de revoir de fond en comble le système d’alerte. C’était déjà inscrit dans le livre blanc de la défense de 2008. Un crédit de 78 millions d’euros a été débloqué en 2010 pour changer les sirènes cassées et, surtout, revoir entièrement le système de câblage.
Avec le nouveau système d’alerte et d’information des populations (SAIP), qui se met en place progressivement, les sirènes ne dépendent plus du téléphone fixe, elles sont connectées via le réseau câblé du ministère de l’Intérieur. A terme, elles seront commandées à distance par un logiciel informatique depuis les préfectures ou depuis la place Beauvau. Nous n’en sommes qu’au début, le déploiement a pris du retard. Seules soixante nouvelles sirènes sur les 2000 prévues ont été installées dans quatre départements (Haute Saône, Orne, Oise et Vendée). Quant au logiciel développé par EADS, il ne devrait pas être livré aux préfectures avant mai 2015.
Les sirènes ont-elles déjà sonné en dehors d’un mercredi ?
Le maire peut déclencher manuellement ses sirènes pour mobiliser les pompiers volontaires, par exemple en cas d'incendie. Mais à l'échelle du département, si on écarte toutes les fois où elles meuglent par erreur (le classique faux contact dû à l’humidité par exemple) et les exercices de sécurité civile, les sirènes du réseau national d'alerte n’ont jamais été déclenchées par une préfecture… En même temps, il n’y a jamais eu de bombardement. «Le problème avec le vieux système, c’est qu’on ne peut pas délimiter une zone géographique où sonner l’alerte. Il n’y a qu’une option: déclencher les sirènes dans tout le département, explique le responsable du service interministériel de la défense, à la préfecture du Rhône. Avec le nouveau SAIP, on pourra délimiter comme on veut la zone géographique à prévenir.» A condition que l’électricité ne soit pas coupée. Le nouveau système ne sera en effet pilotable qu’à partir d’un ordinateur !A quoi ressemble le signal d’alerte ?
En fait, la sirène que l’on entend une fois par mois n’est pas celle prévue en cas de danger réel. C’est une sonnerie d’essai. Le signal officiel est défini très officiellement par un arrêté de 2007. «Il consiste en trois cycles successifs d’une durée de 1 minute et 41 secondes chacune et séparés par un intervalle de 5 secondes, d’un son modulé en amplitude ou en fréquence. Chaque cycle comporte 5 périodes de fonctionnement au régime nominal. La fréquence fondamentale du son émis au régime nominal est de 380 Hz (10 Hz)», précise l’arrêté. Il ne peut donc pas être confondu avec le signal d’essai qui rythme nos mercredis.Si ça sonne et qu’on n’est pas mercredi, on fait quoi ?
78% des Français ne savent pas ce qu’il faut faire si l’alerte sonne vraiment, selon un récent sondage Ifop réalisé à l’occasion des assises nationales des risques naturels. Conscient du problème, le gouvernement a lancé des campagnes de communication locales, pour informer les populations sur les risques encourus près de chez eux. Si l’on s’en tient aux consignes pensées dans les années 1950 lors de la mise en place du réseau national d’alerte, la règle était «tous aux abris». Ce qui se traduit sur le site du ministère de l’Intérieur par : «rejoindre sans délai un local clos, de préférence sans fenêtre, en bouchant si possible soigneusement les ouvertures (fentes, portes, aérations, cheminées…)» et «arrêter climatisation, chauffage et ventilation». Le hic, c’est que ces consignes, recommandées en cas de bombardement ou d’explosion d’une usine, ne sont pas valables si la rivière du bout de la rue déborde. Dans ces cas précis, la première chose à faire est de monter sur le toit, le plus haut possible. Dans tous les cas, il ne faut surtout pas rester dans un véhicule, courir chercher ses enfants à l’école («les enseignants se chargent de leur sécurité»), «téléphoner (les réseaux doivent rester disponibles pour les secours)», ni «allumer une quelconque flamme (risque d’explosion)».L’alerte permet de prévenir d’un danger imminent, reste ensuite à communiquer sur la nature du danger. Le premier réflexe à adopter, si vous pouvez : c’est d’allumer la radio, France Inter ou France Info, ou de regarder France Télévisions. En cas de crise, les chaînes publiques se transforment en porte-voix de l’Etat et diffusent les messages d’alerte et les consignes des autorités publiques. Dans le nouveau système d’alerte, il est aussi prévu à terme que des messages soient envoyés sur tous les téléphones portables.
Mais rien n’est encore fait. L’Etat est en négociation avec les opérateurs de téléphonie mobile. Un appel d’offres a été lancé, mais n’a pas encore abouti. Les opérateurs demandant à l’Etat de financer ce service, ou au moins de payer le développement de la technologie permettant d’envoyer des textos de manière prioritaire. Et éviter les embouteillages sur le réseau comme le jour de l’an par exemple. Où pour cause d’affluence, certains SMS arrivent trois heures après.
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